lundi 25 juillet 2011

Délivrez-nous du mal


– Deliver us from evil –
Réalisateur : Amy Berg – Scénario : Amy Berg – Année : 2006 – Pays : USA – Musique : Joseph Arthur, Mick Harvey


Délivrez-nous du mal est un documentaire sur le père Olivier O'Grady, « le plus tristement célèbre pédophile de l'histoire de l’Église catholique moderne connu à ce jour » annonce la jaquette du DVD. Le documentaire s'intéresse donc à ce prêtre qui a violé des enfants (dont un de 9 mois!!) pendant plus de 20 ans et ce en toute impunité. En effet le clergé de Californie fera tout pour étouffer l'affaire, mutant le père Olivier de paroisse en paroisse jusqu'à ce que ses méfaits soient enfin portés devant la justice. Mais le procès est bâclé (2 mois) – l'un des avocats explique qu'il traite depuis plus de 20 ans d'affaires de pédophilies impliquant des membres du clergé, et que toutes les dépositions sont évasives, mensongères, trompeuses... Le père O'Grady écope alors d'une peine de 14 ans (il en purge 7) puis est extradé vers l’Irlande où il ère librement.

Le documentaire se base sur le témoignage du père Olivier O'Grady qui a accepté d'apparaître à visage découvert. 




Délivrez-nous du mal est un document très poignant. Les deux sujets traités, la foi et la pédophilie, sont tout aussi sensible l'un que l'autre ; le mélange des deux thématiques ne pouvait donc avoir qu'un rendu explosif. La vision n'est nullement rendue plus aisée par les interventions récurrentes du « grand méchant » de l'histoire : le père O'Grady. Le fait qu'il ait décidé de témoigner à visage découvert, et plus saisissant encore, sans langue de bois, donne au documentaire une grande partie de sa force. En effet le personnage est de prime abord « attachant », un curé de campagne qui inspirerait presque confiance (et qui a inspiré confiance à ses ouailles). Puis ses propos le dévoilent de plus en plus : il a purement et simplement violé des enfants, trompé (et parfois violé) leurs parents. C'est donc le père Olivier qui plonge le spectateur dans la froide réalité, celle que ses supérieurs ont tenté de camoufler et qu'il expose un sourire au lèvre. Les témoignages vont jusqu'à atteindre un étrange climax. Le père écrit à ses victimes une lettre d'excuses et de repentir, il leur dit qu'il aimerait les rencontrer à nouveau pour échanger autour de ses exactions. Le père s'adresse à la caméra, regardant droit dans l'objectif, et clôt son propos par un clin d’œil pétrifiant.

Avec un tel personnage (qui est malheureusement une personne, et non le protagoniste d'une fiction), il eût été facile pour Amy Berg d'accoucher d'un documentaire gratuitement sulfureux et voyeuriste. Pourtant la finesse de l'écriture de Délivrez-nous du mal permet d'éviter de nombreux écueils. L’œuvre est loin du talk show, et s'avère très riche en enseignements.

Ainsi le documentaire utilise trois lignes narratives étroitement liées : le témoignage du pédophile et celui des victimes et de leurs proches dont les vies sont brisées. Les propos sont détaillés et expliqués par de nombreux intervenants (des avocats des victimes, des théologiens, l'avocat diocésain, etc... mais l'Eglise a refusé de participer au documentaire...) tous plus intéressants les uns que les autres. Ils apportent non seulement des détails factuels mais aussi des explication psychologiques, théologiques ou juridiques à ce qui est exprimé par les victimes ou par le pédophile.
De ces deux lignes narratives, en émerge une troisième, une véritable intrigue moyenâgeuse : l’Église a eut connaissance de ces faits et à tout fait pour étouffer l'affaire. Tom Doyle, avocat diocésain compare la conférence épiscopale à une méga corporation de type Enron, mû par des intérêts politiques.
Tom Doyle dit à leur propos « un bon catholique est quelqu'un qui garde la bouche fermée et le missel ouvert. Paie, prie et obéi ! [...] Mais un bon catholique ce n'est pas ça. Un bon catholique est un révolutionnaire. Quelqu'un qui n'a pas peur de se lever et de dire la vérité ». Les interventions du père Tom Doyle tout au long du film sont cinglantes et empreintes de sagesse. Sa foi n'est pas érodée mais il n'est pas aveuglé ; de nombreuses fois le clergé à tenté de lui mettre des bâtons dans les roues, de briser sa carrière, explique-t-il. Pour autant il continue son combat contre la pédophilie au sein de l’Église.

Et les victimes dans tout ça ? Elle se font refuser l'accès au Vatican, l’Église catholique les renie et ferme les yeux. Les fois s'effritent, s'affaissent et sombrent.
Un magnifique documentaire, magnifique dans sa réalisation et la qualité de sa construction. Le propos est documenté, appuyé par des intervenants de qualité, et ne donne jamais dans la facilité. Ici, pas de propos antireligieux, mais une dissertation argumentée et construite sur une institution rongée par la corruption. La conférence épiscopale fût d'ailleurs qualifiée par un gouverneur américain chargé d'une commission d'enquête sur la problématique de la pédophilie, de « cosa nostra ».

La qualité du propos fait de Délivrez-nous du mal une vérité qui dérange, et qui pourra heurter les sensibilités. En outre, certaines interviews sont très poignantes et difficilement supportables. Pour autant, il serait dommage de se priver d'un tel témoignage.

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